Fiche de lecture - Les Croisades, Jean Flori

Les Croisades, de Jean Flori, est une excellente synthèse de l'histoire des croisades, condensée en seulement un peu plus de 100 pages.

HISTOIRECROISADESFICHE DE LECTURE

1/15/20246 min read

Je viens de terminer ce petit ouvrage sur les croisades. Cela faisait fort longtemps que je ne m'étais pas penché sur le sujet, et je reprends la thématique avec ce livre, qui cumule les points positifs pour celui qui découvre le sujet ou qui se replonge dedans.

Organisation

Le livre, daté de 2001, est divisé en quatre parties : après une courte introduction présentant six paradoxes des croisades, le livre s'ouvre sur une première partie abordant les origines de la croisade ; la deuxième partie est tout simplement une synthèse chronologique des huit croisades et quelques ; la troisième partie aborde les croisades d'un point de vue plus thématique, s'intéressant à des sujets et à leurs évolutions pendant la période des croisades (1096-1291) ; enfin, la quatrième partie aborde l'ensemble des autres expéditions ayant un lien proche ou lointain avec les croisades, mais ne faisant pas forcément partie de leur histoire « officielle » telle que les historiens la définissent depuis le XIXe siècle.

Compte-rendu

Introduction

Commençons par les six paradoxes sus-mentionnés, qui permettent de mieux comprendre l'intérêt que les historiens portent aux croisades :

  • Il s'agit de membres de la chrétienté (issus d'une tradition pacifique) qui attaquent des membres de l'islam (qui ne s'est jamais interdit la guerre pour conquérir de nouveaux territoires).

  • La reconquête initialement prévue se termine au long terme par une perte de territoires pour la chrétienté au profit de l'islam.

  • Les expéditions des chrétiens latins visaient d'abord à secourir leurs frères byzantins et orientaux. Pourtant, les croisades n'ont fait qu'envenimer les relations entre ces différentes églises.

  • L'idée de croisade a très vite été détournée, notamment par la papauté, pour servir des intérêts autres que celui de la libération de la Palestine.

  • Les États latins d'Orient se retrouvent de fait dépendants des États d'Occident pour leur survie, ce qui mène en quelque sorte à une situation précoloniale (« dont il ne faut d'ailleurs pas exagérer les traits », p. 6).

  • L'échec final des croisades n'élimine pas l'idée de croisade qui servira de base pour les missions d'exploration que l'on connaît, ayant pour but de contourner les territoires musulmans pour les prendre à revers.

Deuxième partie

Je n'aborderai pas en détail la partie 2 pour la bonne et simple raison qu'elle est suffisamment condensée pour ne pas la condenser encore. On notera cependant que Jean Flori brise le cou à quelques idées reçues transmises depuis longtemps — y compris par les historiens jusque récemment — comme par exemple la « fuite » de Pierre l'Ermite au siège d'Antioche, qui serait un mythe venant du chroniqueur que l'on nomme l'anonyme normand, historien et propagandiste à la solde de Bohémond Ier d'Antioche (Jean Flori est par ailleurs l'auteur d'un ouvrage nommé Pierre l'Ermite et la première croisade, dans lequel il détaille cette thèse).

Première partie

La première partie se résume en quelques lignes : en fait, la croisade n'est rien d'autre que l'extension de la notion de « guerre sainte » développée depuis que les chrétiens contrôlent des États et notamment l'Empire romain lorsqu'en 312 Constantin se convertit. La guerre est alors un moyen utilisé pour défendre la chrétienté au sens large et, petit à petit, cette religion évolue d'un pacifisme intransigeant à une sacralisation de la guerre dont le point culminant est l'appel à la croisade prononcé par Urbain II lors du concile de Clermont en 1095 pour reprendre le contrôle du Saint-Sépulcre et de la Palestine.

Troisième partie

La troisième partie est sans doute la plus intéressante, puisqu'elle souligne les pratiques et les institutions de la croisade d'un point de vue thématique. On y apprend par exemple que les croisés, surtout les premiers, ne devaient probablement pas avoir tant d'ambitions territoriales qu'on leur a prêtées à l'origine, puisque, comme Godefroy de Bouillon, certains ont mis en gage leurs fiefs pour financer la croisade. Il en va de même pour les nombreux anonymes qui partirent pour la Palestine et durent vendre ou gager leurs biens pour financer leur départ.

De même, Jean Flori pense que les effectifs donnés par les chroniqueurs ne sont pas si fantaisistes qu'on les a longtemps crus. Il affirme par exemple que la marge d'incertitude est « du même ordre, voire meilleure, que celles de nos contemporains lorsqu'ils évaluent les foules dans les manifestations de masse » (p. 72). Flori estime par exemple que la première croisade a rassemblé 100 000 hommes et que les chevaliers (qu'il faut comprendre comme « guerriers à cheval » et pas forcément seulement au sens de « nobles ») représentent environs 10 à 15% du total.

On apprend également que les croisades, et surtout la première, avait une dimension eschatologique (c'est-à-dire qu'elle était accompagnée d'un sentiment de fin des temps et de Jugement dernier). Cela explique en partie les massacres des juifs que l'on retrouve chez les expéditions allemandes menées par les prêtres Gottschalk (1096) ou Volkmar (1096) ou par le comte Emich de Flonheim (1096 également), puisque ces derniers cherchaient probablement à convertir de force les juifs, phénomène qui annoncerait la fin des temps. De même, le prêtre Joachim de Flore annonce à Richard Cœur de Lion que Saladin est en fait la sixième tête du dragon de l'Apocalypse, la septième n'étant rien d'autre que l'Antéchrist en personne. Éliminer Saladin, c'est donc se rapprocher du Jugement dernier. Jean Flori cite : « C'est à toi que le Seigneur a destiné la réalisation de toutes ces prophéties, et il permet qu'elles s'accomplissent par toi. Il te donnera la victoire sur tous tes ennemis, et Lui-même glorifiera ton nom pour l'éternité. »

Flori n'hésite pas à faire des points historiographiques afin de situer ses théories dans un temps long. Concernant les États latins d'Orient, par exemple, il explique que les historiens de l'époque de Grousset (début XXe) pensaient ces états ouverts et tolérants, avant que des historiens du milieu du siècle (Riley-Smith par exemple) prennent le contrepied de cette théorie et affirment que les États latins d'Orient était marqués par la ségrégation et une forme de pré-colonisation ; lui-même nuance à son tour cette vision en rappelant que toutes les populations autochtones étaient loin d'être musulmanes et arabisées, et que nombre d'entre eux ont accueilli les croisés en libérateurs. Il appelle cette société « société mixte chrétienne à prédominance franque ».

Quatrième partie

La quatrième et dernière partie aborde donc les expéditions qui ne font pas partie du décompte officiel des croisades, mais qui cependant soit réutilisent la notion de croisade et l'applique à un autre champ (Reconquista, croisade baltique, croisade contre les cathares, guerre du pape en Sicile, etc.) soit n'ont pas été reconnues par les instances officielles de l'Église catholique (croisade des pauvres en 1309 et 1320 , des pastoureaux en 1251, des « enfants » en 1212, etc.). Là encore, la thématisation d'expéditions en fonction de leur statut (croisades oubliées, dévoyées, récupérées, reniées, etc.) est une force de ce livre qui nous montre que plusieurs expéditions de temporalités différentes peuvent être regroupées en une même famille de par leur nature, ou le traitement que l'historiographie en a fait.

Conclusion

Enfin, Flori conclue son ouvrage en faisant un retour sur l'historiographie de la finalité des croisades (par moment vues comme une sorte de pré-colonisation, comme une société d'intolérance ou au contraire de tolérance, etc.). Malgré les caricatures de l'époque sur l'islam, Flori rappelle que la croisade n'est pas une guerre contre l'islam en tant que religion : c'est une guerre ayant pour but de reconquérir la Terre sainte, et l'« occupant » se trouve être musulman. Il dénonce aussi l'utilisation du terme « croisade » à tout bout de champ, pour parler d'une action noble et morale, car la croisade est avant tout une « guerre sainte » visant à récupérer le tombeau du Christ.

Je conclurai à mon tour cette fiche de lecture en pointant un aspect que je trouve regrettable : le livre ne contient aucune note de bas de page. Il m'est ainsi par exemple impossible de vous dire de quel ouvrage provient la citation de Flori que j'ai moi-même citée dans cette fiche. Au-delà de ce point, je ne peux que recommander ce livre qui, comme je l'ai précédemment dit, est une excellente porte d'entrée dans le domaine des croisades.

Bibliographie

  • Flori J., Les Croisades, Éd. Jean-Paul Glisserot, 2001.